Une nuit là-bas


Previously…

En vrai, il y a certains points cités dans mon précédent billet que nous avons éclaircis plus tard, mais c’était plus simple à raconter comme ça. Par exemple « fade » devenu « routinier », je ne l’ai su que deux semaines après. Il y avait tellement à défricher… Cette discussion intense et tremblante a été le début d’une enfilade d’autres discussions provoquées au gré de mes mouvements intérieurs, des réactions à effet retard de mon cerveau choqué, de la plus ou moins mauvaise qualité de mes nuits. Au gré aussi de notre planning familial pas plus simple qu’avant la stupéfaction de découvrir que l’homme de ma vie avait été capable de me faire ça.

Oui, cette simple phrase – « Il a été capable de me faire tout ça ! » – suffit encore, parfois, à déclencher des larmes, comme si je n’avais pas encore digéré l’information.

Écrire ici fait partie de mon processus de réparation, comme on dit. Par exemple j’appréhendais beaucoup ce billet-là, mais je me sens considérablement allégée depuis que je l’ai pondu.

Comme si mon cerveau pouvait arrêter de se raconter encore et encore ses tourments dans leurs moindres détails, ceux-ci étant enfin gravés quelque part.

Car je ne pourrai pas oublier. D’ailleurs je ne le souhaite pas.

Mais j’envisage assez sérieusement, une fois ce récit achevé, d’aller me faire hypnotiser en demandant à ce qu’on enferme le tout dans une boîte cérébrale la plus petite possible, boîte dont j’aurais la clé pour si jamais… en espérant que jamais jamais jamais je n’aurai besoin d’aller la rouvrir.

Après cette discussion hardcore de retrouvailles-mise à plat de tout le bordel, nous allons nous coucher, épuisés.

Peau à peau, nous nous embrassons noyés sous nos larmes et, malgré l’heure avancée de la nuit, nous finissons par faire l’amour accrochés l’un à l’autre comme si nos vies en dépendaient.

Le lendemain, nous discutons, faisons l’amour, encore et encore. Du sexe plus intense, plus trash.

Il doit repartir dans sa banlieue et je ne le retrouverai a priori que le vendredi soir suivant.

Chez lui.

Nous dormons souvent là-bas quand nous partons en vacances tous les sept vers le sud, pour gagner une heure de route. Aussi car ça m’offre de rares occasions d’aller là où il vit. C’est assez loin de chez moi, franchement pas sur mes chemins quotidiens, et je suis une grosse casanière qui adore son quartier.

Je sais que, ces dernières années, je n’ai pas été assez souvent dormir dans son lit. Je l’ai compris quand je lui ai reproché de ne m’avoir jamais donné ses clés, les circonstances ayant conféré à ce qui était auparavant un détail une valeur désormais hautement symbolique. Il m’a tout de suite répondu qu’il ne me les avait jamais données car il ne pensait même pas que je les voulais. Soit dit sans reproche, je n’avais pas l’air d’être demandeuse de me rendre là-bas. Mais qu’il était plus qu’heureux à l’idée de m’en donner un jeu. Que ça l’émouvait.

Pendant ces dix ans, il ne m’a pas dit non plus qu’il aimerait que je vienne plus…

Maintenant je sais.

Et j’ai les clés.

Nous devons donc partir en vacances tous ensemble. C’est moi qui l’ai voulu, en plus. Mon mec n’a plus un rond – l’inflation, la crise, le prix de l’essence… –, et donc plus les moyens de s’offrir autant de plaisirs qu’avant, une semaine au ski, par exemple.

Mais moi je voulais trop qu’on reparte tous les sept à la montagne. Ça faisait longtemps que ça n’était pas arrivé, c’est une des rares joies communes à chacun d’entre nous, nos enfants grandissent, l’aîné de mes beaux-fils ne sera plus au lycée l’année prochaine… je me disais que c’était potentiellement la dernière fois avant longtemps.

Alors à l’automne, j’avais insisté de ouf pour qu’il me laisse tous les inviter.

Après les événements, même si je suis toujours heureuse d’embarquer tout mon petit monde sur les pistes, ça prend une autre tonalité.

On parle d’un bon gros billet dépensé – le ski pour sept, quoi… – et mon plaisir est, disons… sacrément atténué.

Et puis j’appréhende. La semaine avant, sans lui, encore une fois. Et la semaine à la montagne, censée être géniale mais où j’arriverai le cœur en miette.

J’ai heureusement réussi à me débarrasser de la plupart de mes pensées me laissant imaginer qu’il n’a en fait aucun sentiment pour moi et que je suis juste un gros canard qui élève sa fille, lui offre des vacances et lui permet de vivre la moitié du temps dans un chouette appart barbessois avec mini-terrasse.

Ce sont des idées qui m’ont hantées lors de la semaine « The Truman Show ».

Durant ces jours où nous sommes encore séparés, nous échangeons des sms amoureux, quotidiennement, comme depuis toujours : il me rassure autant qu’il peut sur ses sentiments puissants à mon égard, me dit et me redit que je ne suis pas en cause dans cette histoire.

Que certes, il a dit au tout début qu’il n’aurait rien contre quelques pipes supplémentaires, mais que ça n’était ni ça, ni une erreur que j’aurais faite, ni quoi que ce soit venant de ma part qui l’avait poussé à faire ça.

Il ne comprend pas ce qui lui a pris, dit-il a posteriori, mais il sait, aujourd’hui, et sans aucun doute, que ça n’est pas de ma faute.

J’ai du mal à m’en convaincre…

Évidemment, je me suis remise à le sucer bien plus souvent. Et je me réjouis de ces retrouvailles entre sa queue et ma gorge.

D’ailleurs si je le faisais moins, ça n’était pas juste par flemme. Mais j’y reviendrai.

Et donc le vendredi suivant, le 9 février, je suis censée retourner sur les lieux.

Le jour J arrive, et, le matin, j’envoie un message à Madame Bis.

A.

Lui disant en substance que je serai le soir-même tout près de chez elle, et que j’adorerais fumer une clope avec elle. Si elle le veut bien.

L’après-midi, je vois ma meilleure amie, la seule avec qui j’ai échangé depuis le début de la tempête, la seule au courant de ce que je traverse. Je me terre encore dans mon coin, incapable d’affronter le monde extérieur. Encore en train de tout décortiquer.

Je lui raconte où nous en sommes avec R., et mon message à la voisine.

Je suis dans un état un peu bizarre : mi traumatisée, mi réjouie par la montagne à venir, les retrouvailles avec mon mec, les vacances en famille, mi excitée-inquiète par la soirée qui m’attend.

Même si je n’ai pas eu de réponse.

Et même si ça fait trop de « mi ».

Je sais je l’ai déjà faite, celle-là…

Je l’aime bien quand même.

Ma pote me demande si je suis sûre que j’ai envie de parler avec cette meuf.

J’en suis absolument convaincue.

Je lui dois énormément.

Alors ma pote me dit que je suis folle mais… « incroyable et forte ».

En fin d’après-midi, j’embarque mes trois gosses dans le RER pour rejoindre mister R. et ses gars.

Joyeusement fébrile.

En tous les cas au départ.

Car plus nous nous rapprochons de sa ville, plus je sens ma fébrilité s’accentuer mais ma joie s’échapper.

Il nous attend à la gare, et nous emmène en voiture jusqu’à sa cité.

Devant l’immeuble, j’observe les fenêtres pour capter où sont celles de la voisine. Il y a de la lumière. Ma yeux scannent les alentours, tête qui se dévisse à 360°. J’espère l’apercevoir, même si je n’ai vu qu’une photo d’elle.

Rien.

Dans l’escalier, quand je passe devant sa porte, mon palpitant s’emballe et se resserre.

Puis nous arrivons au 4e étage, chez mon mec, et je comprends que ça va être compliqué.

Tout me fait penser à ça.

La cuisine, le canapé, la salle de bains… Même le palier, puisque je sais ce qu’il s’y est passé.

Je reste debout, incapable de poser un cul où que ce soit.

Mal à l’aise, de plus en plus.

Il le voit.

M’enlace de ses bras.

« Tu sais qu’on va être obligés de baiser partout où tu as baisé avec elle dans cet appartement ? Je veux retrouver mon territoire… »

Il sourit, mi chaud bouillant, mi circonspect.

Non je ne refais pas la blague des trois « mi ».

Point trop n’en faut.

Mon malaise ne diminue pas, j’ai l’impression d’être de trop.

Mon mec part acheter des pizzas pour le dîner, puis nous nous installons tous les sept à table pour les déguster.

Mon téléphone vibre.

C’est elle.

« Salut. Je négocie avec mon mec et je te dis pour la clope. »

Cool.

Elle veut bien fumer une clope avec moi.

Et elle a un mec !

Même si l’expérience a montré qu’être engagé et amoureux n’empêchait pas les gens de faire de la grosse merde.

Ça me rassure un peu quand même.

Je me dis bêtement que ça diminue peut-être les risques qu’ils remettent le couvert.

Je ne suis toujours pas hyper sereine.

C’est le problème avec le mensonge : après on ne sait plus, même quand le menteur en question dit en fait la stricte vérité.

J’ai déjà menti moi aussi. Je sais qu’un mensonge n’annule pas la véracité de toutes les vérités. Mais l’accumulation de mensonges, c’est un niveau au-dessus, pour le cœur et le cerveau.

Ça plonge littéralement dans la confusion.

Je lui demande de m’accorder le temps de terminer le dîner avec les gosses.

Et nous convenons de nous retrouver dix minutes plus tard, dans l’escalier.

Le fameux.

Je termine ma pizza la première et, alors que tout le monde est encore en train de manger, je sors de table laissant tout en plan, enfile mes chaussures et mon blouson et ouvre la porte d’entrée. Mon mec me regarde interrogatif.

« Tu vas où…? »

« Faire un tour », que je réponds.

Et je claque la porte.

Je me sens effervescente et, surtout, je me marre intérieurement à l’idée d’aller chiller avec cette meuf pendant que mon mec gère les mômes… comme il l’a fait lui-même pendant six mois alors que je trimais.

On trouve de la drôlerie où on peut.

On se voit, on se fait la bise, et on décide finalement de descendre fumer en bas de la barre d’immeuble.

Elle ne ressemble pas beaucoup à la photo que j’avais vue, les filtres c’est vraiment de la grosse arnaque.

Mais je suis très heureuse de pouvoir lui parler.

Je la remercie, encore et encore. Lui dis qu’elle fait désormais partie de ma vie à jamais. Par la force des choses. Qu’il y aura un avant et un après Madame Bis.

Elle me rebalance quelques infos pénibles à entendre, mais ça n’est finalement qu’une goutte de merde supplémentaire dans l’océan de merde qui m’engloutit depuis un mois.

Je lui raconte où j’en suis, mes discussions avec R., mes craintes encore présentes. Que je vais devoir baiser avec mon mec partout où elle a baisé avec mon mec.

« T’inquiète on n’a fait ça que dans le salon [où il dort] et dans la chambre de M. [son fils cadet]. »

On rigole.

Je lui dis que je suis désolée que mon mec lui ait fait de la peine.

Elle me rassure en me disant qu’il n’a pas eu le temps de lui en faire, qu’elle l’a lourdé avant, quand elle a senti qu’elle commençait à s’accrocher à lui.

Ça vient contredire les sms que j’avais trouvé dans le téléphone de R., où elle parlait de l’homme qu’elle aimait si fort et qu’elle devait oublier, mais je ne relève pas.

J’imagine aussi dans quelle confusion elle a dû être pendant tout ce temps.

Elle complimente mon look, puis me raconte les tromperies du père de ses enfants et les réactions qu’elle a eu en face, hilare.

On rit beaucoup. On fume une deuxième puis une troisième clope. Au final on passe quasi 40 minutes ensemble.

Elle me pousse encore à me battre pour reconstruire mon couple et ma famille, me rappelle qu’il m’aime, même s’il a déconné. Me promet qu’elle n’a plus aucune envie de lui, qu’elle me préviendra si elle voit quelque chose de louche par ici quand il est là sans moi.

Je la serre fort dans mes bras avec la franche impression de niquer sa mère au destin en ne tombant pas dans la facilité, celle qui consisterait à honnir la maîtresse et à la considérer comme la coupable ultime.

Et je remonte, guillerette, chez mon mec.

Il est en train de terminer de débarrasser la table et me demande : « Ça va ?? T’étais où…? »

« En bonne compagnie. »

Il comprend tout de suite – je pense qu’il a compris à la seconde où j’ai franchi la porte pour rejoindre A.

Cette rencontre m’a plongée dans un état un peu euphorique, première fois que je sens des pulsations agréables en moi depuis plusieurs semaines.

Je me marre à nouveau en repensant à notre discussion. Mon mec n’a pas l’air très à l’aise, mais ne me reproche rien.

Il sait.

D’ailleurs il me le dit : « C’est du toi tout craché. Moi je n’aurais jamais eu envie de faire un truc pareil, mais toi, c’est tellement qui tu es ! Et même si ça me gratte un peu, si tu en as besoin pour te réparer du mal que je t’ai fait, ne t’en prive pas ! Tout est supportable tant que ça t’aide à guérir. »

Une fois les enfants entassés dans leurs chambres – ils sont trop grands, maintenant, pour que nous puissions attendre qu’ils s’endorment –, nous déplions le canapé-lit pour s’y faufiler, et on baise dur.

Pas trop longtemps, rapport que le salon n’est évidemment pas fermé à clé – ces gosses sont cependant tellement aspirés par leurs écrans respectifs que le risque n’est pas si grand.

Mais super efficacement.

C’est pénible à admettre, mais ce genre de merdier décuple les joies du sexe, si on s’aime et se désire fort.

Il décuple aussi les pensées parasites pendant le sexe, ce qui est bien moins joyeux et parfois même un sacré obstacle à franchir pour atteindre le graal, mais réjouissons-nous de cette folie retrouvée, à nouveau pimentée.

Après notre orgasme partagé, je vois un message d’A. sur mon téléphone.

« Tu dors ? »

Je réponds.

« Non pourquoi ?
– Je viens de baiser avec mon mec mais il m’a reprochée d’avoir l’air ailleurs. C’est vrai. Ça m’a perturbée de te voir.
– Oh mince… Pas en trop mal j’espère ?
– Non, au contraire…
– Ah cool ! Moi ça m’a fait du bien de te voir, tu sais. Je l’ai même dit à R.
– C’est normal que j’ai envie de te pécho ? »

J’éclate de rire.

Elle m’avait dit qu’elle était bi, mais celle-là, je ne m’y attendais pas !

R. me demande avec qui je discute, je reste vague.

Elle me dit qu’elle me trouve mille fois plus belle et sexy en vrai qu’en photo.

« Oh merci, A… Tu n’imagines pas comme je me suis trouvée vieille et cheum et pas désirable, ces derniers temps… »

C’est peu de le dire.

« N’importe quoi. Tu es à croquer de ouf. Je crois que je suis plus lesbienne que bi, en vrai… Si je te dis que j’ai envie de t’embrasser, tu le prends comment ? »

Je lui réponds que je reste sans voix devant cette ironie du destin.

J’ajoute un smiley qui rit avec une petite goutte de sueur sur le front.

« Tu n’es pas si joueuse que ça, en fait… »

Je rigole encore et lui réponds que je suis un ange, comme je lui ai dit. Que je ne consomme pas le sexe, que je communie.

« Tu ne veux pas communier avec moi ?
– Nan mais ça serait fou ! Tu imagines…??? Je suis touchée par ta proposition, néanmoins…
– Tu vas me laisser sur mon envie de t’embrasser ?
– Que faire d’autre, ma belle ??
– Je sais même pas pourquoi ce bâtard t’a trompée, t’es juste à croquer. Vient m’embrasser !
– Je ne vais pas le faire, A., tu le sais bien…
– Pourquoi ?
– Parce que je suis hétéro à 153%, déjà… Parce que je veux rester recta et reconstruire mon couple, comme tu me le conseilles toi-même.
– T’es hétéro parce que tu n’as jamais couché avec moi ! Ce fils de pute ne te mérite pas, tu peux t’amuser autant que lui.
– Pour l’instant je vais rester sur ma ligne, et j’espère profondément que tu ne m’en voudras pas.
– Pour le remercier, ce gros bâtard, tu devrais me faire un bisou rien qu’à moi.
– Ha ha, y’a du vrai. Alors promis, si un jour je veux embrasser une fille, ça sera toi ! »

Avec un smiley hilare.

« Pfff… T’es nulle.
– Moi aussi, je t’aime, A. »

Toujours avec mes smileys mort de rire.

« Non, tu ne m’aimes pas. Mais R., lui, m’aime ! »

Je ne réagis pas à ce message.

Elle poursuit : « Désolée c’était une pique pour te faire réagir…
– Ha ha, allez, il est l’heure, bonne nuit meuf.
– La meuf n’est pas satisfaite. J’ai encore l’image de ta tête en face de moi, j’aurais dû t’encaper direct. »

Elle insiste encore, je persiste à refuser tout en restant gentille.

Je finis par lui dire que je vais éteindre mon téléphone et aller dormir : nous nous réveillons tôt demain pour s’arracher vers les cimes enneigées.

Et je coupe, amusée mais encore plus troublée par ce nouveau revirement.

À suivre…

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6 commentaires pour Une nuit là-bas

  1. humbertaudrey dit :

    Ah ben celle-là je l’avais pas vu venir !

    Je « vivais » ton arrivée chez lui, la soirée, la discussion (je crois que j’en arriverais à la même décision de ne pas prendre « l’autre » comme étant la diablesse de l’histoire), et tu m’as cueillie au vol avec ce twist !

    Ça fait bizarre de se retrouver un peu voyeuse d’une histoire qui n’est pas la mienne mais je suis limite impatiente de connaître la suite.

    Je te renvoie une nouvelle pelletée de douceur et quelques (ahem, plein en fait) paillettes à coller partout dans ta vie.

    Audrey

    • R. dit :

      Merci Audrey… Moi non plus je ne l’avais pas vue venir ! 😂 Tu verras, il reste encore quelques rebondissements. 💕

  2. Gawel dit :

    Eeeeh ben. Tenace, la drôlesse !

    J’admire son audace mais de mon point de vue ça frise l’irrespect face à un « non » explicite… mais c’est peut-être mon côté pas assez rentre-dedans qui s’exprime.

    Et c’est moi où la blague n’était pas drôle du tout ?

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