Oasis perdue

Previously…

Au réveil, je reçois le dernier message qu’A. m’a envoyé la veille, quand j’avais déjà éteint mon téléphone puisque c’était la seule solution pour qu’elle comprenne mon « non ».

« OK. Monsieur R. = 1 / Madame R. = 0. »

J’en déduis qu’elle considère que mon mec, lui, serait descendu.

Réjouissant.

Et lui réponds : « Ou le contraire, selon le point de vue… »

Avec un smiley clin d’œil. Oui. Je suis une smiliste assumée.

J’ajoute que j’ai été heureuse de la voir en vrai et que j’espère qu’elle n’est pas fâchée.

Elle me rassure en me disant qu’elle sait être archi relou quand elle veut quelque chose, mais qu’elle ne se fâche jamais, et me souhaite de bonnes vacances.

« T’es une chouette meuf, A., tu sais ? »

Avec un cœur.

La veille, elle m’avait raconté effectivement que quand elle dormait avec mon mec, elle l’embêtait toute la nuit, l’empêchant de se reposer car elle voulait « profiter de lui ».

Alors qu’il se lève à 4h45 du matin pour aller bosser.

Ça aussi, ça a peut-être joué sur ses soudaines demi-molles…

La meuf qui se raccroche aux branches…

Par exemple là je mettrais bien un smiley mort de rire mais je me suis juré de ne jamais le faire ici.

Un peu de littérature, bordel !

Pourquoi tous ces smileys ?

Ma façon de me foutre de ma propre gueule.

De grosse cocue, dans ce cas-là.

Les gosses dans la bagnole, coffre de toit blindé, on part enfin en vacances.

Je suis toujours interloquée par la scène de la veille. Qui me fait marrer et qui, aussi, éclaire un peu différemment l’histoire.

A. est semble-il légèrement moins timide qu’elle ne le croit…

Quand je raconte le truc à R., il fait une moue teintée de mépris et me répond que « vu la personne dont on parle, ça ne [l’]étonne pas du tout ».

Je lui explique que, quelque part, ça donne un peu plus de crédit à sa version à lui.

Notamment sur le début.

Peut-être qu’effectivement elle a été beaucoup plus offensive qu’elle ne me l’a dit, et qu’il s’est contenté de laisser faire.

Ce qui est tout aussi nul.

Mais moins volontaire.

La semaine à la montagne est aussi chouette que désespérante.

Nous savourons ces joyeux moments enneigés à sept… mais je chiale huit fois par jour, à table, dans la voiture, sur les pistes, et on passe des heures à bédave en discutant dans la cuisine, yeux aussi écarlates que noyés.

Je lâche des larmes à chaque fois que je repense à l’anéantissement de mon oasis amoureuse.

Je suis en deuil.

En triple deuil.

Deuil de l’image que j’avais de mon mec.
Deuil de l’image que j’avais de mon couple.
Deuil de l’image que j’avais de ma place dans la vie de mon mec.

Je pleure mon havre de paix.

Et même si mon homme me dit et me montre qu’il souhaite ardemment le rebâtir, absolument tout me ramène à ça.

Quand un truc me saoûle, m’énerve, me blesse – mes gosses, un nouveau problème à gérer, mon père ou que sais-je… –, je ne peux plus m’accrocher au fait que « rien n’est grave, je suis si heureuse avec l’homme de ma vie ».

Quand je passe un beau moment – par exemple dévaler à toute blinde notre piste préférée, les gars, mon mec et moi, puis me délecter du ciel bleu et des sublimes montagnes à perte de vue une fois sur le télésiège, blottie contre mon amoureux –, je fonds en larme en repensant à l’effondrement récent de ma confiance en moi et en l’homme que j’aime. Si fort.

Et nous continuons de discuter, encore et encore. Décortiquer, creuser, réaffirmer, confronter les référentiels.

J’ai toujours dit que l’immense majorité des embrouilles entre les gens était, selon moi, due à un simple (mais souvent compliqué à appréhender) choc de référentiels.

Et je sais que c’est le cas ici aussi.

Si j’ai effectivement passé cinq jours à craindre qu’il m’ait fait vivre dans une illusion morbide pendant dix ans, à craindre d’avoir été le gigantesque pigeon d’un putain d’arnaqueur, imaginant soudainement l’amour de ma vie sous les traits du pire des diaboliques, je suis à peu près convaincue à ce moment-là que mon mec ne m’a pas voulu du mal.

Il en a dit sur moi. Du mal.

Pas tant que ça mais bien trop quand même, et y repenser me tue.

Il m’en a fait.

Mais il ne m’en a pas souhaité.

Or dans mon référentiel éthique, l’intention prévaut.

Même si elle n’efface pas les blessures consécutives.

Ni la colère ni la déception.

Pendant la semaine à la montagne, je continue d’être hantée par la scène de l’escalier et la version donnée à mes beaux-fils…

Je finis par aborder le sujet avec le plus grand des deux, celui dont je suis la plus proche, celui aussi qui avait réagi si vivement selon le récit de mon mec.

En diagonale, bien sûr.

Je lui dis en substance que son père et moi avons eu des discussions compliquées récemment mais que nous nous aimons du feu de Dieu et que donc tout ira bien, promis juré. Mais que j’ai eu deux versions différentes concernant une scène dont je savais qu’elle l’avait perturbé.

Il voit tout de suite de quoi je parle, sourire penaud.

Que je ne lui demande surtout pas de me dire ce que lui a expliqué son père. Mais qu’une des deux versions est insultante à mon égard, et absolument fausse. Quand l’autre est plus sympathique.

Je n’ajoute pas qu’elle est vraie. Elle est fausse aussi puisqu’il a dit qu’il n’y avait absolument rien avec la voisine. Je marche sur des œufs.

Que donc, si d’aventure la version de son père lui semblait bizarre et outrageante, il pouvait la considérer fausse.

Il me répond que son père ne lui a jamais dit que du bien de moi. Qu’il avait dit comme moi sur l’amour immense et le fait que tout allait bien entre nous.

Que la nuit qui a suivi cet événement, il n’a pas pu fermer l’œil tellement il était bouleversé.

Je suis hyper touchée.

Je verse ma larme.

Je lui dis à quel point savoir ce qu’il avait dit sur moi à l’époque – qu’il m’adorait et me voulait dans sa vie – m’avait portée, ces dernières semaines.

Nous n’entrons pas plus dans les détails, mais un immense poids s’ôte de ma poitrine.

Pendant ces six jours à la montagne, et alors qu’on dort au milieu d’un appart pas bien grand avec cinq enfants noctambules, on baise presque tous les soirs, ambiance festival des positions.

Moi qui ai toujours défendu ardemment l’idée qu’il ne fallait pas faire l’amour tous les jours, au risque de transformer la merveille en automatisme, je me retrouve à baliser sévère si mon mec n’amorce pas un mouvement lubrique en ma direction.

Je lui dis mi-hilare mi-amère que je n’oserai plus jamais de ma vie refuser une demande de sa part.
Je lui souffle en larme que même si je crevais du cul j’accepterais de me faire enculer cinquante fois par jour s’il le fallait.

Ouais, je suis plusieurs personnes dans la même journée. Parfois dans la même heure.

La meuf qui hallucine.
La meuf qui pleure.
La meuf qui gère.
La meuf qui conquiert.
La meuf qui subit.
La meuf qui pue le cul.
La meuf qui mène.
La meuf qui sombre.
La meuf qui se relève.
La meuf bombesque.
La meuf serpillère.
La meuf qui y croit.
La meuf qui a peur de ne jamais s’en remettre complètement.
Ou qu’il recommence.
À tromper ou à mentir.
La meuf qui le voit honteux, contrit, s’excusant.
La meuf qui est toujours en colère.
La meuf qui l’aime si fort.
Et qui parfois le déteste.

La meuf qui a aussi très peur qu’il la quitte.

Totalement perdue…

De retour à Paris, nous continuons de parler, parler, parler. Profitant de nos après-midis partagés (grâce à ma fameuse « nouvelle vie compliquée pour lui », soit dit en passant), nous cherchons, ensemble, à comprendre.

Et je reviens sur l’histoire des mecs. Qui a un peu été occultée par la violence de l’histoire de la meuf.

Je recommence l’inquisition, torture partagée.

Pas tous les jours H24, hein !

Mais à chaque fois que ça me submerge à nouveau.

Et ça arrive souvent.

Entre deux discussions cruelles, nous sommes vissés l’un à l’autre, fou amoureux, amants devant l’Éternel.

Mais le démon revient.

Alors… combien de mecs ? Depuis quand ? Le début ??? Pourquoi ? Comment ? Où ? Qui ?

Et j’en passe…

Mon mec, qui décortique aussi de son côté, autant que possible, me dit un jour qu’il ne m’a pas trompée les premières années.

Malgré les messages sur les forums, qui, de toutes les façons, n’aboutissent quasiment jamais.

Il date le début de la chute quand il a eu des problèmes de thunes, environ quatre ans auparavant. Puis le covid, et la mort de sa grand-mère chérie dans la foulée.

Il pleure.

« C’est là que tu as commencé à allez voir des gars ? Pour noyer ton chagrin ? »

Il sanglote.

Il m’émeut.

Depuis toujours.

Énormément.

« Mais moi, j’étais là, pour toi, R. Pour t’aider à affronter ce deuil. Pourquoi tu t’es éloigné de moi quand tu avais besoin d’amour…? Je ne comprends pas… »

Lui non plus…

Et puis ça s’est emballé. Et puis il y a eu A.

Je lui demande combien, quand.

Tarée.

Au final j’estime le truc à une bonne trentaine de coups.

Sans compter A.

Je lui demande ce qu’il aurait pensé s’il avait appris que j’avais eu un amant love-to-love-pas-de-poteka pendant six mois et que je m’étais en plus fait tringler par trente gars ?

Il admet qu’il l’aurait mal vécu.

Je lui demande comment il va gérer son prochain coup dur, la perte d’un de ses parents par exemple ? Est-ce que là aussi il va plonger dans le sombre océan ? Ou est-ce qu’il m’aidera à l’aider comme la femme éperdument amoureuse que je suis ?

Nous pleurons.

Je lui reparle de ses candidatures sur le site candauliste. Il me répète qu’il s’agit de jeux virtuels, que l’immense majorité de ces échanges n’aboutissent pas.

« Oui mais si le gars te dit de venir, tu y vas, non ?
– Pas forcément. Non je ne pense pas. »

Je suis sceptique.

« Et tous ces gars, alors ? C’est sur les sites de bites, ça se complimente en numérique, mais si y’a moyen tu cours ? On parle de plusieurs dizaines de plans quand même…
– Non, enfin oui. Ça dépend… Je sais pas. »

Et A., c’est parce que c’était elle ou c’est l’occasion qui a fait le larron ?

« Je te le redis, c’est la seule et unique meuf qui m’a dragué en dix ans, et j’ai cédé. »

Je fulmine.

« Mais quoi ? T’es une tainp’ ??! »

Il me regarde horrifié.

Je prends conscience de la violence de ce que je viens de dire.

Je me modère et précise : « Pardon. C’est pas une insulte, tu sais le bien que je pense des putes. Mais j’essaye de comprendre : dès que quelqu’un de pas trop dégueu toque à ta porte, tu plonges, c’est ça ?? »

Il réfute, comme il peut.

« Je te le redemande : A., elle t’a tapé dans l’œil au premier regard ou… n’importe quelle meuf t’aurait sollicité tu y serais allé ?
– Non, bien sûr que non, je n’y serais pas allé !
– Donc c’est bien que A. t’a plu ?! »

Quoi qu’il dise, il est coincé.

Nous le savons tous les deux et je me maudis de sombrer dans ce jeu cruel.

Et puis son putain de téléphone… Mon cerveau bugge dès que je vois son écran s’allumer, annonçant une notification.

Je stresse.

Un jour je pète les plombs sur le sujet, je lui explique que c’est devenu un objet de malheur pour moi, et que je ne veux plus jamais le sentir inquiet parce que mes mains s’en approchent.

Que je n’ai aucune envie de le fouiller, et que du coup ces réactions spontanées me blessent, me cassent les couilles, en plus de m’effrayer, maintenant.

De mon côté, à chaque fois que je reçois un message instagram d’un profil inconnu, j’ai un moment d’effroi…

Je fume comme jamais. Merci le THC.

Et nous faisons toujours autant l’amour.

Délicieusement.

Mais je panique, régulièrement.

Déjà il y a encore ces satanées images parasites. Infernales.

Et encore quelques orgasmes qui se transforment en sanglots, de mon côté. Ou qui aboutissent à un long silence, parce que tout me revient dans la gueule, juste après, parce que mon cerveau reprojette le film en slow motion, mes yeux dans le vague, ma bouche agitée de tics.

Mais, surtout, parfois, mon mec stoppe mes amorces de sexe piquant pour nous ramener dans notre train-train d’antan.

Un train-train qui me convenait parfaitement jusqu’alors. Mais dont je sais désormais qu’il peut malheureusement être un vecteur de grand danger.

À suivre…

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2 commentaires pour Oasis perdue

  1. Comment veux-tu répondre à une question conditionnelle ?

    Autrement que ce que veut entendre la personne qui pose la question…

    Pour moi, dans les grandes discussions, il n’y a qu’une chose importante : l’avenir qu’on veut construire ensemble. Et, éventuellement, regarder dans le rétroviseur pour éclairer le chemin qui est devant nous.

    • R. dit :

      Je ne sais pas de quelle question tu parles, mais quoi qu’il en soit, je te répondrais : en portant ses couilles et donc en disant la vérité, quand on en est à ce stade de merde et de tentative de réparation d’un couple.
      Qu’on mente au début pour sauver son cul, je le comprends. Mais quand tout explose et qu’on dit qu’on est prêt à tout pour sauver la situation amoureuse, on peut ptet assumer la merde qu’on a fait et faire passer le couple avant son petit confort.
      Quant à se concentrer sur l’avenir, je suis bien d’accord, mais d’une part on fait comme on peut – moi j’ai rien demandé dans cette histoire, ça m’est tombé dessus alors que j’étais bien… -, d’autre part je me vois mal être heureuse dans une relation où je n’ai plus aucune confiance en mon homme. Donc on bosse dur à reconstruire ça, en espérant que ça marchera, mais ça passe parfois, malheureusement, par des discussions hardcore.
      Bon mais tu prêches pour ta paroisse, tu as bien le droit.
      Et moi je reste un animal blessé.

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