Mon Brésil #33

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Lundi matin, je me réveille d’une nuit sans cauchemar… La cour que me fait Assis me procure un effet inattendu. Même si je ne suis pas sûre de le croire quand il me dit qu’il m’a toujours aimée et qu’il n’a jamais cherché à profiter de moi, cette potentialité me rassure profondément. Et même s’il me ment, le voir se démener pour rattraper les choses me réconforte. De moi à moi, je ne me vois plus comme cette jeune fille piétinée 7 ans auparavant, mais comme une femme forte, désirée, qu’on regrette d’avoir blessée, et qui maîtrise mieux à présent l’impact des autres sur elle. Moins de naïveté, plus d’estime, je peux enfin boucler la boucle. Et ces plaies que je n’imaginais pas à ce point béantes se cicatrisent et achèvent une longue période de fragilité. J’ai l’impression de respirer pleinement à nouveau.

Après mon éternel petit déjeuner au lait chaud et paõs de queijaõ, je me rends, seule, à la maison de Bé. J’ai acheté un ensemble culotte-débardeur trop petit pour moi dans le centre, et je souhaite l’offrir à Vilede. Je reste vigilante sur le trajet, la maison de Da Cruz est proche de celle de Bé. Mais j’affronte ma peur et marche d’un pas assuré.

La maison de Bé est vide, il est probablement en train de fumer du crack avec des amis, ou de prévoir un quelconque larcin. Après avoir déniché un bout de papier, je laisse en évidence le cadeau et un petit mot, puis quitte les lieux.

Je passe chez Vanderleïa. Elle m’offre un verre de laranjada, une sorte de jus d’orange, et nous papotons. Les hommes… depuis son histoire avec le père de Vittoria, elle ne veut plus s’impliquer émotionnellement. Elle a un amant marié, dont elle admet à demi-mot être amoureuse, mais dont elle n’attend rien. Et elle aussi n’utilise jamais de préservatif.

En rentrant, je croise Bé qui m’invite chez lui. Je lui demande s’il a trouvé le cadeau pour Vilede.

– « Oui, elle l’a vu, et ça lui a fait très plaisir !
– Tant mieux, j’en suis ravie. Je l’avais acheté pour moi, mais il est trop petit, et plutôt que d’aller le changer dans le centre, je me suis dit que c’était l’occasion de lui faire un petit cadeau… La taille convient ?
– Elle l’a essayé et ça lui va vraiment bien, c’est très sexy… Et tu sais ce qu’elle m’a dit après l’avoir mis ?
– Non… dis moi… ? »

Il prend un air malicieux, et chuchote :

« “Comme ça, quand on fera du sexe, tu pourras penser à la Française…“ Et après ça, elle m’a sucé ! »

Après avoir subi la jalousie démente de Da Cruz, voilà un nouveau schéma.

Voilà. C’est ici que s’achève ce que j’ai écrit il y a 12 ans, puis 7 ans. A partir de maintenant, ça va aller beaucoup plus vite, parce que la mémoire vite fait tavu quoi…

Je traîne un peu avec Bé, tâche d’en savoir plus sur ce qu’a avancé Assis, sa prétendue malhonnêteté à mon égard. Sans succès. Bé est toujours aussi évasif. Mais Bé reste Bé, celui qui m’a défendue 7 ans auparavant, qui m’a sauvée. Alors quoi qu’il en soit, je lui suis reconnaissante. Et je l’aime. Même si ça a l’air d’être un sacré connard.

Mes nuits sans cauchemar continuent, les discussions avec les frères, la famille, Assis aussi. Mon départ pour Salvador approche. La veille du jour des aux revoirs, Neguinho nous convie à une ronde dans un parc de Major Prates. Tout près de chez Da Cruz. Pancinho devant moi, Sergio derrière, les jumeaux de part et d’autre, je suis escortée. Il fait nuit, j’ai assez changé pour ne pas être directement reconnaissable physiquement, nous ne resterons qu’une heure, alors je tente de maîtriser ma peur. Plutôt bien. Même si je zyeute férocement les alentours. Et ne joue pas.

Au bout de 45 minutes, Neguinho prend la parole. Il remercie tel maître et tel instructeur de leur visite puis… me cite. A haute voix, en prononçant mon nom et mon pays bien distinctement.

Je blêmis.

Je panoramise la foule pour déceler une quelconque réaction. Rien.
Mais je ne suis pas tranquille. Alors au bout de 10 minutes pendant lesquelles j’ai du mal à me concentrer sur les joueurs, la ronde s’achève et je prie mes amis de ne pas trop traîner.

Pour ma dernière nuit, je décide de dormir avec Assis. Sergio nous apporte discrètement un matelas, tout fier de son coup de Cupidon. Nous nous installons dans notre chambre d’antan, ce petit arrière-bureau dans lequel nous nous sommes retrouvés, quelques jours auparavant.

J’ai peu de souvenirs. Je crois que ma période hormonale propice était passée, que du coup j’étais contente d’être là avec lui, mais pas bouleversée non plus. Nous avons dû faire l’amour, parler de notre non-avenir, refaire l’amour encore et encore, puis dormir.

Le lendemain, j’ai offert tous les cadeaux à la famille et aux amis, échangé baisers, accolades et promesses, puis, le soir venu, j’ai pris la direction de la rodoviaria.

Accompagnée par Assis, les quatre frères, Pancinho et Ivo, suivis par quelques cousins et élèves et un véritable orchestre de berimbau et pandeiro, marchant sur ces routes vermillons puis dans ce terrain vague parcouru mille fois déjà, je me sens comme dans ces films de Kusturica où une fanfare de cuivre suit constamment les héros.

Arrivés à la porte du car, j’embrasse tout le monde en retenant mes larmes, et Assis sur la bouche devant tout ce petit peuple qui siffle. Nous nous promettons des nouvelles, puis je file.

Un long voyage en car et quelques jours seule à Salvador plus tard, je prends l’avion qui me ramène chez moi.

Et je me sens légère. Soulagée.

Une fin inespérée. Plus de cauchemar, et un sentiment de paix avec moi-même.

Quelques jours après mon retour, j’ai eu une discussion apaisée avec mon père qui a mis fin à presque 27 ans de relations houleuses. Complexes.

Quelques mois plus tard, j’ai rencontré l’homme qui est devenu le père de mes enfants.
Je suis convaincue que je n’aurais pas eu le bon sens d’aller vers lui avant cet ultime voyage au Brésil.

Puis j’ai eu mes deux petits.

Guérie.

Jusqu’à ce que…
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Image tirée de Chat noir, chat Blanc, d’Emir Kusturica

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26 commentaires pour Mon Brésil #33

  1. La Vachère dit :

    Ah non hein !!!!

    • R. dit :

      😀
      Mais non, promis, la saga brésilienne est terminée, je n’ai plus jamais revu Assis.
      C’est juste que la vie a continué, quoi.

  2. zut dit :

    Déçu d’arriver à la fin mais heureusement il y a le « jusqu’à ce que… »

    • R. dit :

      Bon, en même temps, je sentais bien que ça commençait à trainer en longueur, c’t’histoire… Mais ça m’a bien servi à ne pas vous raconter ce que je vivais pendant ce temps là. D’ici peu, je pourrai. 🙂

  3. zoumpapa dit :

    Bon, moi j’en veux encore, donc tu nous ferais pas le récit de ton voyage en Finlande, où t’as rencontré Esinahka (c’est son surnom) ?

  4. usclade dit :

    Quel périple !
    Donc tu jouais la montre avec cette saga haletante, pour toujours nous parler de ton actualité avec ton style direct, mais en « différé ». C’est bon, tu nous as parfaitement tenus en haleine, tu peux désormais projeter la saison 2, sur Paris… 🙂
    je m’installe dans le fauteuil…
    bises

    • R. dit :

      Pécho une bière, commande une pizza, ça vient. Mais c’est autrement plus banal et moins haletant que ma saga brésilienne. 🙂

  5. Tomas dit :

    Jusqu’à ce que hein ? Jusqu’à ce que ?

  6. dit :

    L’exotisme dépend du point de vue.
    L’ordinaire aussi.

    Peut-être parce que je te connais, mais l’actuel me tient plus en haleine.
    Même si je sais qu’il finira bien (oui, madame, je le sais parce que je suis fleur bleue, au fond, et donc je le veux, et quand on veut…)

  7. Sir John dit :

    R., vous méritez de changer votre pseudo pour « A. ».
    « A. » comme Aventurière invétérée. Suis sans doute bon lecteur, mais vous côté narration c’est du grand Art. Encore faut-il avoir vécu ses aventures…
    « A ». comme reine du teaser, genre « A Suivre.. ». Z »avez pas honte avec votre « jusqu’à ce que… », Non? Vous devriez! Nous faire cela! Juste une veille de week-end! 😉
    Y’a deux p’tits gars et un grand qui ont de la chance…J’espère que vous leur avez conté de histoires pour les bercer le soir.
    Ou alors « P. » comme Perle…de la blogosphère.
    Cheers,
    S.J.

    • R. dit :

      Merci, cher Sir John. Beaucoup. Mais après faudra pas vous étonner si je me la pète un peu… 🙂

      • Sir John dit :

        Je ne sais pas pourquoi, mais cela m’étonnerait de vous. Et puis il y en pleins qui se feraient un plaisir de vous le rabattre (le caquet)…Si vous continuez à écrire ainsi (et à répondre…), alors go! go! go! Et pétez-la vous (histoire qu’on se marre!) 😉

        S.J.
        PS : Ceci étant dit, je veux bien aussi valider votre titre de transport! (au moins trois tours de pistes neuronaux à faire sur ce coup-là).

        • R. dit :

          ‘tain, je cherche, je cherche… et je trouve pas. Expliquez-moi, Sir John, de quel titre de transport vous p…. Oh putain, je viens d’avoir une idée, mais…? Un rapport avec ce qui se montre par chez vous ? 🙂

  8. Y a pas un épisode où Da Cruz vient faire du tourisme à Paris et rase les murs en craignant que tu lui tombes dessus ?!

  9. ouplala dit :

    belle histoire, jolie expérience dans une langue magnifique !

  10. J. dit :

    Moi je reste sur ma faim ? As tu vérifié les propos d’Assis auprès de Liza ou de ta mère ? à moins que ce soit écrit dans la saga et que j’ai zappé.

    • R. dit :

      Je crois que je l’ai dit dans une réponse à un commentaire : c’était effectivement faux, Liza a juste dit à Assis que j’avais failli devenir folle et que ma mère s’était inquiétée. 🙂

  11. Marie dit :

    Ma chère R,
    Je te lis seulement aujourd’hui pour cause d’un week-end fort dense (fort danse en fait, comme il arrive aux sardines qui font du tango…) et d’un début de semaine chargé aussi… Bref. Merci de ce partage et de cette fin promise. Incroyable histoire qui me fait penser dans sa structure même à un conte initiatique.
    Une héroïne qui part à la recherche de quelque chose de très précieux, en l’occurrence ni un trésor sonnant et trébuchant, ni la robe de soleil et de lune de Peau d’Ane, mais d’elle-même en fait. Cette quête est constamment en but aux machinations et aux sortilèges d’une affreuse sorcière qui veut la peau de Blanche-Neige. La quête passe par tout un tas d’épreuves initiatiques, rêves maudits que l’héroïne surmonte au cours d’un long voyage de sept ans… Et comme Ulysse, un jour, épreuves vaincues, ultimes démons affrontés, elle quitte ces rivages lointains au son de la fanfare de ses compagnons, elle rentre au port, avec son trésor, apaisée, capable enfin de parler avec son père et d’aimer, aimer, aimer l’homme et les enfants…
    Je t’embrasse R. Quand j’étais petite, je voulais être la Petite Sirène… Me v’la sardine, mais j’ai pas de regret!

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